Ces travaillistes resteront-ils au pouvoir ?

3/11/1947

Nous avons maintenant les résultats complets des élections locales britanniques. Nous savons que les conservateurs y ont remporté un éclatant succès. Nous apprenons aussi qu'en Amérique, ce succès est évalué comme une nouvelle victoire anti-communiste. De fait, les communistes anglais perdent les 9 sièges dont ils disposaient. Il nous reste à voir les causes de l'échec travailliste et de déduire les conséquences anglaises, et peut-être mondiales, de cette nouvelle consultation électorale.

Les causes ? On est d'accord pour placer en premier lieu la politique d'austérité. Un gouvernement n'est jamais très bien placé en face du pays quand il apporte un tel programme électoral. Mais cette cause est la moins lourde en conséquences politiques : il n'appartient pas à M. Churchill, si jamais il revient au Pouvoir, de rendre à l'Angleterre les devises qu'elle n'a plus et de substituer le rotsbeef au beefsteak de baleine. L'austérité est signe d'un déclin de la Grande-Bretagne beaucoup plus profond.

On s'est prononcé aussi contre la dirigisme. En Angleterre aussi, celui-ci n'est pas toujours heureux dans ces effets. Loin de faire machine arrière, sous la pression de son aile gauche le parti travailliste entendait développer les nationalisations. Gageons qu'il y regardera désormais à deux fois.

Surtout, M. Attlee avait commis une grosse faute tactique. D'emblée, sans conflit déclaré à propos de ce dirigisme, et pour assurer son programme de nationalisations, le Premier s'en est pris à la Chambre des Lords. Il a parlé, par la bouche du roi dans le discours du Trône, de réduire les pouvoirs de cette Chambre. Rien ne pouvait déplaire davantage aux Anglais ; on cite le précédent de 1911. Mais en 1911, le conflit était ouvert, les Lords s'opposaient à la majorité de la nation. Au contraire, ils ont été très souples depuis deux ans. Si souples que la réforme de M. Attlee apparaît comme une réforme doctrinale, une réforme de principe. Les Anglais n'aiment pas cela. Ils ont trop le sens de la légalité, d'une légalité qui s'impose à tous, et d'abord au gouvernement, pour admettre que quiconque, pour assurer une politique, demande un changement constitutionnel, fut-il justifié par l'archaïsme des institutions. Pour prendre un exemple qui nous parle plus, la campagne révisionniste du général de Gaulle n'aurait aucun succès en Angleterre.

De toutes façons, les Anglais ont pris un tournant. Les travaillistes ont trois alternatives :

1° Continuer en mettant un frein aux nationalisations ;

2° Constituer un cabinet national avec les conservateurs réagissant en face de la crise comme en face de la guerre ;

3° Accepter une nouvelle consultation électorale.

L'option paraît d'ailleurs être plus entre les mains du roi qu'entre les leurs. Aussi effacée que soit la prérogative royale, elle joue assez nettement en ces occasions, le souverain étant avant tout le garant du jeu normal des institutions démocratiques.

D'après certains, les Américains pousseraient à la consultation électorale. Pour leurs prêts, leur confiance irait plus aux conservateurs qu'aux travaillistes. C'est possible, mais ce n'est pas certain, à condition toutefois que M. Attlee abandonne les nationalisations. M. Churchill n'a pas que des amis outre Atlantique. On y redoute son caractère.